October 6, 2012
France

Eolien terrestre : dix ans de batailles juridiques

Par Audrey Garric et Jonathan Parienté | 05.10.2012 | lemonde.fr

Jeudi, l’Assemblée a voté une proposition de loi socialiste sur l’énergie, qui assouplit la réglementation de l’éolien.

“Un vent d’air frais pour l’éolien.” C’est ainsi que le député écologiste Denis Baupin a salué, vendredi 5 octobre, le vote à l’Assemblée nationale de la proposition de loi socialiste sur l’énergie, qui assouplit la réglementation de l’éolien.

Un vent d’air frais pour l’éolien : la règle “des 5 mats”, l’obligation d’être en ZDE et les obstacles dans les DOM sont levées #directAN
 – Denis_Baupin (@Denis_Baupin) October 5, 2012

Au terme d’un débat mouvementé, qui a déclenché dans la nuit le départ fracassant des députés de l’UMP, de l’UDI (centristes) et du Front de gauche, six amendements ont finalement été validés par l’Assemblée. Les députés frondeurs reprochaient à la majorité d’avoir inclus dans le texte consacré aux tarifs de l’énergie des “cavaliers législatifs”, c’est-à-dire des amendements qui n’ont rien à voir avec le texte étudié.

La règle des “cinq mâts” abrogée

Principale avancée sur le front de l’éolien, un amendement met un terme à la “règle des cinq mâts” qui obligeait jusque-là tout projet d’implantation à prévoir au moins cinq éoliennes, et réduisait donc le nombre de parcs installés.

Paradoxalement, c’est la loi Grenelle 2 qui avait instauré cette règle, à l’initiative du député Patrick Ollier, pourfendeur notable des éoliennes.

Les zones de développement de l’éolien assouplies

Les règles permettant à un projet éolien de bénéficier du tarif d’achat par EDF de l’énergie produite – financièrement intéressant – ont été assouplies. Jusqu’alors, seuls les projets implantés dans le périmètre d’une zone de développement de l’éolien (ZDE) pouvaient en bénéficier.

Cette obligation a été supprimée grâce au vote d’un amendement déposé par le gouvernement au motif qu’en l’espèce les ZDE révélaient “une certaine fragilité juridique”. Dorénavant, les parcs qui seront construits dans les “territoires favorables au développement de l’éolien” seront également éligibles.

Dérogation à la loi littoral pour l’outre-mer

Les communes littorales étaient jusqu’alors soumises à des contraintes difficilement compatibles. La loi Grenelle 2 interdit l’installation de parcs éoliens à moins de 500 mètres des habitations ; la loi Littoral contraint à la construction d’installations à moins de 500 mètres du bâti existant au nom du principe d’urbanisation en continuité.

Du fait de leur situation, il était donc très difficile d’installer des éoliennes dans les communes d’outre-mer, bien qu’elles soient des gisements potentiellement importants d’énergie éolienne. Un amendement rectificatif du gouvernement a permis d’assouplir ces règles afin de “donner les moyens aux départements d’outre-mer d’atteindre l’objectif de parvenir à l’autonomie énergétique”, en permettant des dérogations au principe d’urbanisation en continuité.

Relancer une filière au point mort

“Ces amendements vont relancer une filière éolienne au point mort depuis deux ans, en raison de contraintes juridiques trop lourdes, et permettre à la France de remplir l’objectif de 20 % d’énergies renouvelables d’ici à 2020”, se félicite Damien Mathon, délégué général du Syndicat des énergies renouvelables.

D’ici huit ans, l’éolien terrestre doit ainsi atteindre 19 000 MW de puissance installée. Or, pour l’instant, la France ne compte que 7 000 MW, soit environ 3 500 éoliennes. “Il nous faut installer quelque 1 500 MW par an, soit le rythme que nous avions au début du développement de l’éolien, avant l’instauration de législations contraignantes”, poursuit Damien Mathon.

C’est au début des années 2000 que l’éolien est véritablement lancé dans l’Hexagone. Auparavant, la Compagnie du vent (filiale de GDF Suez) avait déjà installé la toute première éolienne raccordée au réseau électrique – en 1991 à Port-la-Nouvelle (Aude) –, puis le premier parc éolien autour de cette machine, en 1993. Mais cette énergie renouvelable n’a vraiment connu son essor qu’en 2001, avec le premier arrêté fixant un tarif d’achat par EDF – autour de 80 euros par MWh, soit le tarif actuel.

Encadrement de l’implantation

Alors que les premières fermes voient le jour, la loi Urbanisme et habitat de 2003 définit les règles d’encadrement de leur implantation : les mâts de plus de 12 mètres doivent bénéficier d’un permis de construire – les éoliennes construites aujourd’hui mesurent en moyenne 150 mètres –, une étude d’impact et une enquête publique doivent être réalisées pour les éoliennes de plus de 2,5 MW et des garanties financières constituées pour le démantèlement et la réhabilitation du site.

Mais pour les anti-turbines, ces mesures ne s’avèrent pas suffisantes. Les parlementaires profitent alors de la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique (loi POPE) de 2005 pour proposer un durcissement du cadre réglementaire. Après des débats très tendus entre parlementaires opposés au développement de l’éolien, menés par Patrick Ollier, alors président de la commission des affaires économique de l’Assemblée, et ceux favorables – notamment le Vert Yves Cochet, l’UMP François-Michel Gonnot ou le PS Philippe Tourtelier – un compromis est trouvé : l’instauration de zones de développement de l’éolien.

Ce zonage, effectué à l’initiative des communes ou communautés de communes et validé par les préfets, octroie aux projets un droit au rachat de l’électricité par EDF. “Des éoliennes pouvaient être installées hors des ZDE. Mais aucune entreprise ne l’a fait, faute de rachat de leur électricité”, décrypte Damien Mathon.

Malgré ce cadre strict, la polémique sur les éoliennes se poursuit : elles sont tour à tour accusées d’affecter la santé des riverains, notamment par leurs nuisances sonores, de nuire aux oiseaux et chauves-souris, de dégrader les paysages, et d’émettre du CO2 en faisant appel aux centrales à gaz ou à charbon, par à-coups, en cas de manque ou d’excès de vent.

La loi Grenelle 2 durcit les conditions d’installation

En 2010, c’est la loi Grenelle 2, censée mettre en application les engagements de la grand-messe de l’écologie voulue par Nicolas Sarkozy, qui serre encore la vis. Les députés UMP Patrick Ollier et Serge Poignant introduisent de nouvelles dispositions.

Tout d’abord, les éoliennes se voient classées dans la réglementation ICPE (Installation classée pour la protection de l’environnement) qui interdit l’installation de parcs à moins de 500 mètres des habitations. La loi prévoit en outre l’obligation de constituer une “unité de production” d’au moins cinq éoliennes pour éviter le “mitage”, c’est-à-dire la dispersion des fermes sur le territoire. “Ces dispositions ont largement bloqué le développement de l’éolien, notamment dans l’Ouest, où l’habitat est diffus”, assure Damien Mathon.

Le texte introduit par ailleurs de nouveaux critères pour la mise en place des ZDE : la préservation de la sécurité publique, les paysages, la biodiversité, les monuments historiques ou encore les sites protégés. Enfin, des schémas régionaux de développement des énergies renouvelables définissent les zones géographiques favorables à la constructions de parcs, en tenant compte des ZDE. “On avait donc un empilement de textes contraignants, souvent redondants”, regrette Arnaud Gossement, avocat en droit de l’environnement et de l’énergie.

Conséquence : le nombre d’éoliennes installées chute. En 2011, seuls 800 MW ont ainsi été raccordés au réseau électrique (400 éoliennes) – et 125 turbines pour le 1er semestre 2012 – contre 1 200 MW en 2010 (600 éoliennes).

Les freins restants

“La proposition de loi votée jeudi est un petit pas pour le développement de l’éolien. Mais les principaux freins n’ont pas été supprimés, souligne Arnaud Gossement. L’amendement proposé pour assouplir le classement IPCE, véritable fil à la patte pour les constructeurs, a été rejeté, et la circulaire de 2008 sur les radars, qui limite l’implantation d’éoliennes dans un périmètre de 20 kilomètres autour d’un radar militaire ou civil, n’a pas été discutée. Enfin, il reste la question du coût exorbitant du raccordement au réseau.” Depuis la loi NOME (Nouvelle organisation des marchés de l’électricité) de 2010, les entreprises doivent en effet payer jusqu’à 10 % du coût du projet pour raccorder leurs parcs au réseau national.

“Aujourd’hui, les procédures en France sont si lourdes qu’il faut huit ans pour construire une éolienne en France alors qu’il n’en faut que quatre dans le reste de l’UE”, a regretté M. Baupin jeudi soir, appelant à poursuivre l’assouplissement des règles. Ces derniers mois, le numéro un mondial du secteur, le constructeur danois Vestas, a procédé à plusieurs vagues de licenciements, évoquant notamment la concurrence des constructeurs chinois.

Un regret : le dispositif ICPE le plus contraignant à été maintenu pour les éoliennes. On continuera le travail de conviction #directAN
 – Denis_Baupin (@Denis_Baupin) October 5, 2012

Le texte de loi sur la tarification progressive de l’énergie doit maintenant être examiné par le Sénat à partir de la mi-octobre. Le gouvernement avait engagé le 10 septembre la procédure accélérée sur cette proposition de loi.


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